Jean-Claude Mattrat, François Righi
UNE LECTURE MUETTE, UNE PROFÉRATION
Performance : 26 publications

Saint Paul ordonne un autodafé
de livres de magie, Actes XIX,19
(Index Librorum Prohibitorum
de Benoît XIV, Pape, 1758).
La proposition est de faire d’une conversation à propos du livre
— discussions, questions, fins, expositions, assertions, sentences, conclusions — une séance publique démonstrative.
Il n’y a pas de lieu particulièrement approprié, mais des ruines muséales, une cave ou le vestibule d’une bibliothèque sont considérés comme propices.
Le matériel (tables, nappes, images) est fourni par les intervenants.
Les sources des citations utilisées sont accessibles à qui en fera la demande. Elles demeurent serrées dans la napperie.
La performance complète — lecture muette, distribution d’images, profération — n’excède pas 40 minutes.
Sa forme est celle d’une édition limitée à 26 exemplaires dont chacun des lieux de réception constitue la manifestation tangible.

Descriptif
— 26 nappes de coton écru, ourlées, de 140 centimètres sur 200 centimètres, sur lesquelles sont sérigraphiées en gris foncé, autant de brèves formules évoquant le sens, l’usage ou la conception du livre. Les mots sont lisibles frontalement sur la partie tombante de la nappe.
— 2 tables d’environ 120 sur 60 centimètres et 75 centimètres de hauteur. Au départ, disposées les unes sur les autres, les nappes sont recouvertes d’un linge plus petit, mais suffisamment grand pour masquer la première formule.Mais ici la figure est constante, qui porte des mots variés. Entre texte et image se situe le geste répété du dévoilement. Celui-ci s’inscrit dans un temps qui est semblable à celui du feuilletage d’un livre.
Pas d’image : le geste y supplée qui anime ces « corps ».
On peut rappeler qu’impresa est en italien le terme qui désigne la devise, et que, pour les étymologistes, le mot français de « devise » est lié au verbe deviser, qui anciennement signifie : former un dessein. Il signifie aussi diviser, car diviser dessine, et permet de compter, donc de « se faire une idée » de ce qui, par exemple, dans le temps de la monstration des nappes, nous occupe. Il faut insister là-dessus : une devise était dite « imparfaite » lorsqu’elle se réduisait à une figure muette. Elle devait être peinte, figure et mot, sur l’habit ou le bouclier. Dans ce sens, l’imperfection des nappes ne leur permet de prendre figure, pour grimacer, que dans le temps nécessaire à leur dévoilement.
D’où vient l’idée d’une telle démonstration ? Il ne faudrait être ni trop clair ni trop obscur pour bien parler de ce que disent mieux les livres que nous faisons, car l’imperfection de ces deux éclairages mettrait à mal l’évidence "l’évidence du sujet", dont on sait qu’elle gêne les commentateurs. Or, laissant cela aux théoriciens (qui ne manquent pas de nous définir, qui veulent toujours nous imposer leurs définitions), nous ne délivrons pas plus de commentaires que nous ne défendons de thèses.
Le signe doit être l’indice sensible d’une chose qui ne tombe pas sous le sens. Nous parlons entre nous, mais nous n’élaborons pas de théories. Le sens de ce que nous faisons se trouve dans les indices suscités auparavant, malgré nous, pendant que nous parlions. C’est pour cela que nous conservons des traces de notre conversation. Notre plus récent échange prit le prétexte d’un petit livre d’Alcuin, Le dialogue du jeune prince royal Pépin avec le maître Albinus. En marge de l’avant-dernière question, Quid est tacitus nuncius ? j’avais noté Mutus Liber, pour le plaisir d’évoquer la quatrième planche du grimoire hermétique de La Rochelle, où l’on voit cinq draps — mais il pourrait s’agir de nappes — exposés à la rosée d’une aube printanière. Jean-Claude Mattrat me répondit en modifiant les trois dernières propositions, qu’il retraduisit au crayon en bas de page :
— Qu’est-ce qu’un messager silencieux ?
— Ce que je tiens.
— Que tiens-tu ?
— La lettre.
C’est ainsi que cela pourrait finir ; puisque la première question du prince était : Qu’est-ce que la lettre ?

Jean-Claude Mattrat, François Righi