MARTEAU (Robert), RIGHI (François). Le miroir volatil.
Ouvrage publié avec le concours du Centre national du Livre.
Ivoy-le-pré, D’ailleurs-l’image, 2003 ; in-octavo (25 x 22,2 cm) de 32 pp., dont 2 blancs, cousu à la chinoise, jaquette imprimée sur japon, emboîtage. 12 gravures à l’eau-forte et 5 empreintes recto verso, 1 pointe sèche originale sur acétate, toutes imprimées par l’artiste. Une planche dépliante (62 x 42 cm) en sérigraphie (J.-M. Biardeau). Composition typographique au plomb mobile de François Righi, tirée par Émile Moreau sur les presses de « l’Imprimerie des billets » à Henrichemont.
66 exemplaires sur Japon Kawasaki, dont 6 hors commerce, numérotés et signés. L’exemplaire n° 1 est accompagné des 12 plaques d’acier gravées (collection particulière, Nançay).
Extrait du colophon : « Les emblèmes que l’on trouve au plafond de l’oratoire de l’hôtel Lallemant à Bourges, transcrits par François Righi à l’aide d’un miroir rotulien dû à Jean Laborde, fondent la séquence des images gravées ici, pour lesquelles chaque devise est l’œuvre de Robert Marteau » .
Extraits du prière d’insérer.
Remarques sur l’auteur : « Sous le regard de l’Osiris vert poétiquement officie et ouvre Robert Marteau ». Ainsi s’exprime Jean-François Rollin, dans sa présentation des poèmes de Royaumes, Travaux sur la terre, Sibylles. Robert Marteau en effet écrit sur le motif. Né « dans un milieu de secrets », il n’a pas perdu le sens de la réalité, c’est-à-dire du mythe. Le 24 mars de l’an 2000, il me fit l’honneur de visiter l’hôtel Lallemant, à Bourges, en ma compagnie. Dans le train qui le ramenait à Paris, Robert m’écrivit, et je reçus le lendemain un sonnet qui scellait cette circonstance. De là l’impulsion qui nous conduisit, mano a mano, jusqu’au livre fait aujourd’hui. Mano a mano (main à main) est une expression du vocabulaire taurin désignant une corrida à laquelle ne participent que deux maestros, qui doivent avoir des styles différents.
Remarques sur la mise en œuvre : Jean Laborde, qui est menuisier, possède « la science du trait ». Il construisit un merveilleux miroir tripode, monté sur une rotule de bois, dont je me servis pendant l’été 2002 pour transcrire, en les gravant sur de fines pellicules d’acétate, les devises qui ornent les caissons du plafond, dans la petite pièce de l’hôtel que l’on appelle l’oratoire, la chapelle ou le cabinet.
Remarques sur l’emblématique : Avant de tenter de décrire quel rôle a joué l’étude du décor architectural dans le livre, il faut préciser ce qu’il convient d’entendre par devise, en ce qui concerne l’association d’un texte et d’une image au début du XVIe siècle (Jean Lallemant et ses petits-fils ayant édifié leur hôtel particulier entre 1495 et 1500). Pierre Laurens, dans la préface du récent catalogue Emblèmes, devises, iconologie de la librairie Paul Jammes, explicite clairement la parenté et la différence qui apparaissent entre les deux « produits de l’ingegno » de cette époque : « … l’élégante devise…, “énoncé d’une pensée magnanime sous un nœud de parole et de chose”, qui installe une relation dialectique entre une figure simple (animal, végétal ou objet) et le “mot”, bref et pointu, entre le corps et l’âme… ; et l’emblème, invention érudite et livresque… qui associe avec redondance… une gravure fort élaborée… et une épigramme qui la décrit avant d’en expliciter le sens symbolique. » Au plafond de l’hôtel Lallemant, on est en présence de devises dites imparfaites, puisque nul mot n’apparaît sur les bandeaux de pierre.
Remarques sur l’atelier : Tout le travail a été de prendre la distance convenable devant l’extraordinaire charge symbolique de ces images. D’ailleurs, ces images sont autres — d’un autre air que celui de ce temps — et les sentences de Robert Marteau pourraient être peintes comme des signes sur leur chair silencieuse. Elles disent ce qui s’est absenté. Les phylactères, muets, parlent dorénavant comme des livres. « Ils sont muets ; ils parlent ET ils sont muets, c’est là le miracle ! » (autre formule empruntée, celle-ci, à Elias Canetti). La parcimonie des moyens employés, s’opposant à l’éloquence des devises, n’ambitionne que de rendre manifeste la similitude du contenu avec l’outil de transmission : le miroir et son fonctionnement prennent la place des images ainsi restituées. Pas une lettre dans ce livre, pas un mot qui ne soit imprimé à l’envers, comme à l’endroit, en utilisant simultanément le recto et le verso de la feuille de papier japon. Les empreintes des diverses figures formées par les orientations du miroir sont également imprimées recto verso. Elles ressemblent à des simulacres, des peaux échappées, des cerfs-volants noirs ponctuant l’agencement des pages. Le miroir, représenté de façon descriptive, est devenu le sujet, prenant la place de ce qu’il reflète. La mémoire du travail initial est cependant conservée : chaque exemplaire comporte en frontispice l’une des gravures à la pointe sèche exécutées sur le motif.
Remarques sur le dessein : Une grande planche dépliante complète, à la fin du livre, cette interrogation des mystères de l’hôtel Lallemant. Outre que soit restituée la situation des « imprese » au plafond de l’oratoire, où alternent angelots et emblèmes, l’origine des figures géométriques est donnée, que l’on trouve, dans le livre, sur l’image du miroir diversement orienté. Ces figures ne résultent que du choix de certains points, sur chacune des devises. Quant aux « mots » de Robert Marteau, qui parfont le « corps » des devises, ils se substituent, sur le dépliant, aux jeux angéliques des « putti ».
Remarques didactiques : Lorsqu’il m’envoya, le 26 juillet 2002, sur une carte postale de Saint-Bertrand-de-Comminges, le titre qu’il me proposait — Le Miroir volatil —, Robert Marteau ne savait pas encore qu’ayant abandonné le projet initial je faisais voler de page en page les figures du miroir. Sa vision nouait le fil qui dessinait notre livre. Puis il m’accorda de conserver une référence à Goya suggérée l’hiver précédent. Il me fallait en effet, au recto de la première apparition de l’outil-miroir, une page de noir en aplat pour provoquer l’effet d’obscurcissement que permettrait la finesse du papier encré sur ses deux faces ; je tirai parti de cette contrainte en gravant, en taille d’épargne, le mot VOLAVERUNT, dont les dix lettres, disposées de façon à évoquer le Tétragramme des pythagoriciens, correspondent aux dix séries de trois emblèmes. Volaverunt, « ils s’envolèrent » : cette expression latine était depuis longtemps, à l’époque de Goya, passée en Espagne dans le langage courant, comme un dicton, pour évoquer une disparition, une perte, un impossible accès. Goya l’a utilisée comme légende de la soixante-et-unième gravure des Caprichos où l’on voit une femme aux cheveux encombrés d’ailes de papillon, juchée sur quelques vertigineuses trognes, enlevée dans les airs.